Cette vignette est un extrait de mon nouveau projet artistique : l’illustration de l’Odyssée. Elle présente les premiers vers du texte homérique, retranscrits en caractères grecs, gravés dans le marbre par un tailleur de pierres et chanté par un aède.
« Muse, dis-moi l’homme inventif, qui erra si longtemps,
Lorsqu’il eut renversé les murs de la sainte Ilion,
Qui visita bien des cités, connut bien des usages,
Et eut à endurer bien des souffrances sur les mers,
Tandis qu’il luttait pour sa vie et le retour des siens. »
(selon la traduction de Frédéric Müller)
Ἄνδρα μοι ἔννεπε, Μοῦσα, πολύτροπον, ὃς μάλα πολλὰ
πλάγχθη, ἐπεὶ Τροΐης ἱερὸν πτολίεθρον ἔπερσε·
πολλῶν δ’ ἀνθρώπων ἴδεν ἄστεα καὶ νόον ἔγνω,
πολλὰ δ’ ὅ γ’ ἐν πόντῳ πάθεν ἄλγεα ὃν κατὰ θυμόν,
ἀρνύμενος ἥν τε ψυχὴν καὶ νόστον ἑταίρων.
Ma 18 ème Compozia – achevée en octobre 2020 – est une synthèse illustrée de ce chef d’œuvre classique, s’inscrivant dans la lignée de celles que j’ai réalisée sur les romans de Jules Verne et sur la mythologie égyptienne.
I. Illustration de l’Odyssée : De la lecture au dessin :
J’ai entamé la lecture de l’Odyssée à la fin mars 2020, pendant le confinement, période particulièrement propice à la lecture assidue. Mais ce classique de la littérature n’a pas été mon seul compagnon pendant cette période. En parallèle des mes travaux, je lis des œuvres plus digestes et plus divertissantes. D’autant plus que pour mes projets d’illustration, je lis en prenant des notes et en surlignant les passages importants sur lesquels m’appuyer. Pour L’Odyssée et précédemment Jules Verne, je vais même jusqu’à retaper et classifier les citations que je souhaite recueillir.
Comme pour mon illustration des Voyages Extraordinaires de Jules Verne, derrière chaque élément se cache une référence directe au texte homérique. J’ai donc réalisé un mapping similaire pour l’Odyssée :
>>> découvrir le mapping des citations de l’Odyssée illustrée ici <<<
En parallèle de la lecture, je remplis mon carnet de croquis (outil précieux) ; je constitue des répertoires de modèles et de sources d’inspiration iconographiques et de recherches documentaires ; et j’esquisse les épisodes tels que je me les représente. Je recherche aussi des motifs grecs.
Cette composition est le fruit de 8 mois de travail : lecture de mars à juin 2020 / illustration d’avril à octobre 2020
L’autre étape très importante dans ma démarche artistique c’est l’établissement du plan de composition :
>>> plus de détails à découvrir dans l’article 2/3 <<<
2. Illustration de l’Odyssée : Détails de l’œuvre et commentaires
Outre la structure, il m’a fallu également déterminer le choix des couleurs. L‘Odyssée est un périple maritime, dont le théâtre est la mer Méditerranée : la couleur bleue s’impose à l’esprit. Mais la couleur ocre/cuivre également, en écho aux vases grecs. Or ces deux couleurs se marient très mal (J’ai fait des tests dans mon carnet de croquis qui rendent cette page particulièrement décevante et moche (il n’y a pas d’autre mot)). J’ai donc finalement choisi le trio de couleurs [noir-blanc-ocre] en lui ajoutant le doré, afin d’avoir plus de variations possibles dans les motifs et de suggérer l’or et le bronze.
J’ai par ailleurs choisi de représenter Ulysse blond, bien qu’on le dise parfois brun ou châtain, au chant XIII (vers 399 et 431) il est décrit comme blond.
L’épisode probablement le plus connu, avec celui du cyclope Polyphème. Ce n’est pourtant qu’une infime partie de l’Odyssée, et même du chant XII, qui ne lui ai qu’en partie consacré. Mais c’est celui que l’on attend et que l’on retient.
Pour illustrer ce fameux passage, je me suis largement inspirée du tout aussi fameux vase (stamnos) à figure rouge, dont je m’étais déjà inspiré dans ma 13ème Compozia « Myth ». J’ai souhaité faire un clin d’œil aux céramiques helléniques que je trouve tout simplement magnifiques et qui ont construit notre imaginaire, notre représentation du monde grec antique.
A noter que les sirènes grecques sont des femmes-oiseaux. Les femmes-poissons sont issues de la mythologie nordique. D’ailleurs dans l’Odyssée, il n’y a pas de description de leur corps. A l’origine, elles étaient de simples femmes à la voix envoûtante. C’est la déesse Déméter qui les métamorphosa, leur donnant ce corps d’oiseau.
Certains épisodes de cette épopée ont été plus inspirants que d’autres, plus ou moins faciles ou plaisants à illustrer. En proposant cette synthèse illustrée de l’Odyssée, les parties que j’ai préféré dessiner sont celles du Cyclope, de Circé, de Calypso (je suis particulièrement fière de mon petit coucher de soleil …), et les motifs marins qui entourent Poséidon. Mais qui dit préférences, dit aussi réticences et difficultés à surmonter … Les épisodes les plus durs à dessiner ont été pour moi, d’une part, les massacres (celui des prétendants et celui d’Agamemnon (voir onglet suivant). La vengeance d’Ulysse sur les prétendants est un épisode violent impliquant un empilement de cadavres… . Pour m’aider je me suis inspirée entre autres du « Radeau de la Méduse », et des illustrations de Jan Styka et Gustav Schwab (voir ce super site de références iconographiques). Je n’avais ni la place ni l’envie de représenter la pendaison des servantes infidèles. Il y a des petits détails, comme ça, tout au long de l’histoire, sur lesquels je ne me suis pas attardée…
D’autre part, le voyage aux Pays des Morts (l’Hadès), en particulier les retrouvailles avec sa défunte mère… (ayant moi-même perdu la mienne, épisode traumatisant, la mort est un sujet difficile pour moi à aborder et donc à illustrer). C’est une zone du dessin que j’ai laissé de côté pendant un certain temps, avant de réussir à l’affronter. Les formes blanches fantomatiques en arrière-plan me font même peur…
Ma mère n’a d’ailleurs pas eu l’occasion de voir mes Compozias, style que j’ai développé environ deux ans après sa disparition. J’aurai tellement voulu pouvoir lui montrer ce que je suis capable de faire aujourd’hui …
Le fatidique banquet d’Agamemnon – dans la partie basse de l’illustration dédiée à la culture hellénique – m’a également posé souci : c’est d’ailleurs par celui-ci que j’ai achevé mon œuvre, passage que j’ai repoussé un certain temps, mais qui était incontournable car évoqué à une dizaine de reprises dans l’Odyssée (lire cet article de Mediterranes.net).
Homère (le poète légendaire : article de la BNF) tisse subtilement mais régulièrement un lien entre le destin des héros de l’Iliade et celui de l’Odyssée. La fin de certains héros ou évènements n’a pas été évoquée dans l’épopée précédente, et l’Odyssée apporte un éclairage nouveau sur l’issue de la guerre de Troie. Ce parallèle permet également d’éclairer le destin et la personnalité d’Ulysse par contre-point : Agamemnon, roi des rois, rentre triomphalement mais il est haï et trahi. Ulysse, roi d’Ithaque, rentrera humblement et redécouvrira la fidélité de ses proches… Mais est-il fidèle à lui-même ?
Pour illustrer cette scène je me suis entre autre inspirée d’un vase attique à figures rouges du 5ème siècle avant JC : voir image 1 ; image 2)
Le terme « mythe » (μῦθος) renferme la notion de récit fabuleux, de faits imaginaires, de personnages dont la réalité historique a été transformée voire inventée, de représentations traditionnelles et symboliques, de construction intellectuelle, de choses dont on entend parlé mais que l’on a jamais vu… L’Odyssée est un mythe par excellence, car c’est le mythe d’un héros mythomane. Ulysse est un personnage rusé, inventif, diplomate, un excellent orateur, un stratège hors pair, un homme plein de charmes, maitrisant l’art de la parole et des subterfuges. C’est un menteur né. Son identité est perpétuellement en question. Il dissimule son nom (le révèle tardivement ou le modifie). Il cache ses origines. Il se déguise et se transforme avec l’aide d’Athéna. Enfin, il raconte lui-même son histoire. Aède et héros se confondent : Ulysse prend plusieurs fois le rôle du conteur (celui que l’on nomme traditionnellement Homère pour désigner l’auteur de ce récit légendaire.
Comme dans ma précédente illustration littéraire sur Jules Verne, les frises de motifs structurent l’œuvre, la composent et la décomposent. Les motifs « intérieurs » quant à eux assurent les liaisons-transitions entre les épisodes, il servent à remplir les arrière-plans et à combler les petits vides (je déteste ces vides, le vide m’angoisse…)
Pour les frises, je me suis attachée à sélectionner des motifs grecs ou d’inspiration grecque, les plus cohérents possibles et les plus fidèles au thème. Pour les motifs de remplissage, en revanche je m’accorde un peu plus de liberté tout en gardant le souci de l’harmonie. J’avoue ne pas pouvoir m’empêcher de puiser dans l’iconographie japonaise car leurs motifs m’inspirent énormément. En particulier pour représenter la mer autour de Poséidon : l’ouvrage japonais « Hamonshu », destiné aux artisans, est une précieuse et intarissable source d’inspiration, facilement adaptable.
Les motifs me permettent de me détendre et d’apporter un soupçon de spontanéité si je puis dire, dans le sens où je ne suis pas quelqu’un de très spontanée dans ma façon de dessiner. Mais je ne cherche pas à ce que les motifs soient parfaits, symétriques… Je m’autorise l’imperfection quand je dessine (et pour quelqu’un comme moi, c’est déjà un pas de géant…).
Pour conclure :
J‘ai commencé à rédiger et publier cet article en août 2020, avant d’avoir achevé mon illustration. Il me restait alors encore à dessiner la bande supérieure destinée aux Dieux et la bande inférieure sur la culture hellénique. Je suis très heureuse de pouvoir vous présenter mon œuvre complète : je l’ai finalisée le 31 octobre 2020 et ai choisi de l’intituler :
« Celui qui pendant des années erra »
En référence à la traduction des premiers vers de l’Odyssée par Philippe Jaccottet,* qui faisait partie des œuvres que j’avais à étudier en Terminal L, pour l’épreuve de littérature du Bac. C’était d’ailleurs l’année des Mémoires de Charles de Gaulle, qui étrangement ne finira jamais sous la forme d’une Compozia… Samuel Beckett non plus … J’ai par ailleurs une pensée pour ma professeure de littérature, passionnée par sa matière et par l’Odyssée.
*Ce n’est pourtant pas cette version que j’ai retenue, pour ma relecture j’ai choisi une version différente, un autre traducteur (Frédéric Müller) qui a le mérite de se lire de façon limpide.
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