En avril 2023 s’achève ma 22ème Compozia sur les 12 Travaux d’Hercule. Il s’agissait pour moi d’une œuvre expiatoire (voir article 1/3), qui a questionné ma démarche artistique et mon travail de composition. J’ai surement du chemin encore à parcourir mais j’ai voulu, dans cette nouvelle œuvre, aller un peu plus loin dans mes efforts de composition.
Mon rapport aux textes-source reste le même, s’inscrivant dans la ligné de ce que j’ai pu proposer auparavant. Je conserve ici encore mon souci de cohérence et mes inspirations littéraires, ayant travaillé à partir des ouvrages de Guy Rachet, Diodore de Sicile et Apollodore le Mythographe : à découvrir dans l’article 3/3 proposant le mapping interactif des citations.
Cette nouvelle Compozia présente des similitudes mais aussi des nouveautés par rapport à mes précédents travaux. En voici le décryptage.
1. La roue des 12 Travaux
1.1/ Composition chronologique :
Les 12 Travaux d’Hercule sont présentés au sein d’une roue. Le choix de ce schéma de composition était une évidence. L’idée s’est imposée d’elle-même dès le début de ce projet (dont l’idée m’est apparue en mai 2022). Cette roue est circonscrite par des frises, décomposées en 12 motifs différents. On y retrouve la symbolique du cycle des 12 heures de la journée ou de la nuit, des 12 mois de l’année ou des 12 signes astrologiques. Les 12 Travaux y sont en effet illustrés chronologiquement, évoluant dans le sens des aiguilles d’une montre.
1.2/ Composition et décomposition par des frises :
Les frises de motifs sont des outils que j’ai déjà utilisé dans mes précédentes compositions (sur Jules Verne et sur l’Odyssée). Elles servent de repères pour délimiter les épisodes, elles facilitent la « lecture » de l’œuvre. Ici, elles permettent de distinguer les 12 Travaux, suivre le cheminement d’Hercule, monstre après monstre, travail après travail.
Mes Compozias sont denses, foisonnantes, immersives, les éléments s’y confondent, s’imbriquent en permanence les uns dans les autres, s’enchainent, fusionnent, s’amalgament … Les frises deviennent un support indispensable et rassurant. En tout cas pour moi, elles occupent une fonction très rassurante. Elles sont d’ailleurs ce par quoi je commence. Avant de représenter les épreuves d’Hercule, j’ai posé les limites par le dessin de ces frises. Elles sont là pour éviter le chaos, éviter le débordement, éviter la fusion démesurée qui devient synonyme de disparation. Elles permettent de circonscrire les étapes de l’histoire, de borner mon imaginaire, de contenir les émotions que je dissimule derrière ma manière de dessiner.
La différence avec mes précédentes œuvres, c’est qu’ici, désormais, j’en ai pleinement conscience, bien plus qu’avant. Je poursuis dans cette esthétique de l’horror vacui – qui m’habite depuis mes débuts – en étant plus lucide, plus clairvoyante, et en essayant d’ailleurs de la limiter un petit peu au centre et aux quatre coins, où j’ai accepté de laisser du vide, du noir, sans motifs, sans sujets. C’est un début….
1. La roue des 12 Travaux
1.1/ Composition chronologique :
Les 12 Travaux d’Hercule sont présentés au sein d’une roue. Le choix de ce schéma de composition était une évidence. L’idée s’est imposée d’elle-même dès le début de ce projet (dont l’idée m’est apparue en mai 2022). Cette roue est circonscrite par des frises, décomposées en 12 motifs différents. On y retrouve la symbolique du cycle des 12 heures de la journée ou de la nuit, des 12 mois de l’année ou des 12 signes astrologiques. Les 12 Travaux y sont en effet illustrés chronologiquement, évoluant dans le sens des aiguilles d’une montre.
2. Composition du centre et des quatre coins
Si la composition de la roue a été une évidence, autant le centre et les quatre coins ont été source de réflexions, d’incertitudes, de tergiversations pendant plusieurs mois (de mai 2022 : apparition de l’idée, à fin février 2023 : achèvement du cycle des 12 Travaux). J’ai longtemps hésité aussi bien sur l’esthétique à adopter que sur la sélection et le positionnement des sujets à représenter.
2.1/ Détermination de la partie centrale
Le très jeune Alcée* enlacé par 2 serpents n’a pas posé problème, j’en avais l’idée dès le début. (Pour la petite anecdote, je me suis inspirée d’un modèle de faire-part de naissance américain, où le bébé était représenté en Superman…).
(* Le héros s’est d’abord fait appelé Alcée (ou Alcide), nom donné à sa naissance par ses parents (Alcmène sa mère biologique et Amphitryon son père adoptif, car Alcée est le fils naturel de Jupiter (Zeus)).
Ce qui était difficile, c’était de définir les 4 autres sujets et définir leur emplacement. Pour le centre en particulier, où doit être placé l’élément essentiel. Après moult atermoiements, j’ai finalement retenu l’oracle de Delphes comme épisode central. Car c’est le moment où la pythie annonce à Alcée qu’il prendra désormais le nom d’Hercule / Héraclès (signifiant « à la gloire d’Héra », Héraclès en grec, Hercule en latin). Le héros abandonne son nom humain pour prendre désormais un nom divin. La pythie lui annonce alors son destin : l’accomplissement des 12 Travaux commandés par son cousin Eurysthée, ce qui lui permettra d’accéder à la gloire, à l’immortalité (et à la rédemption selon les interprétations, c’est en tout cas la mienne).
2.2/ Les autres épisodes choisis :
Comme autres aspects importants de la vie d’Hercule, j’ai retenu ensuite :
- La mort tragique de ses enfants : un coup de folie qui le pousse au meurtre.
- Le commanditaire des 12 Travaux: le pleutre Eurysthée qui – effrayé par la force surnaturelle de son cousin – se cache dans une jarre et envoie son messager Copreus à sa place.
- La funeste fin d’Hercule (détails et interprétations en partie III). J’ai choisi de positionner ce dernier passage en haut à gauche, c’est-à-dire à proximité de l’épisode de Cerbère et des Enfers. Par ricochet, la mort de ses enfants a été placée en contrepoint dans l’axe diagonal et donc dans le coin inférieur droit.
2.3/ Esthétique :
Pour ce qui est l’esthétique retenu, là aussi il m’a fallu du temps pour me décider. J’avais hésité avec l’utilisation d’un crayon graphite noir (et non de l’encre) mais j’avais peur que cela paraisse trop dépareillé et pas assez noir dans le rendu final. J’aime bien le noir profond de l’encre de Chine. Mais j’avais assez tôt dans l’idée de proposer une esthétique différente de l’intérieur de la roue : un stylisme sans couleur et plus épuré, pour trancher, créer du contraste, proposer une composition un peu plus dynamique. Je me suis notamment inspirée des illustrations d’Aubrey Beardsley que j’admire énormément.
« a large christmas card »
by Audrey Beardsley – 1895
image du domaine public Wikimédia Commons
3. Détails & Interprétation de l’œuvre
- L’oracle et le titre de l’œuvre
- l'enlèvement d'Europe
- l’ordre des 12 Travaux
- les Enfers
- La mort d’Hercule
Comme exposé précédemment, l’épisode de l’oracle de Delphes est un moment clé où le héros prend le nom qui est resté dans les mémoires, un nom qui signifie « à la gloire d’Héra ». C’est ce qui a motivé le choix du titre de cette 22ème composition :
« Au nom de la Gloire »
C’est aussi un passage où Hercule (Héraclès) est soumis à la volonté des Dieux, pris en étau entre son père Jupiter (Zeus) qui le chérit et Junon (Héra) qui voue une haine absolue à cet enfant illégitime. C’est le moment où s’impose à lui son destin de demi-dieu. Hercule est un héros habité à la fois par des traits divins (des capacités hors-norme) et des traits profondément humains (des faiblesses, des imperfections, des pulsions incontrôlables…). C’est au nom de la gloire qu’il accomplit ses épreuves, ses exploits, mais c’est aussi au nom de la gloire qu’il commet des actes violents et répréhensibles. Pour moi, le mot « gloire » cache toujours une part d’ombres et de violence. C’est le sens que j’ai voulu donner à ce titre.
L’épisode de la capture du Taureau Crétois (le 7ème Travail d’Hercule) est assimilé à deux autres grands mythes gréco-romains : le Minotaure (fruit de l’union d’une femme et d’un taureau) et l’enlèvement d’Europe par un taureau blanc (une métamorphose de Zeus). Ce rapt a inspiré de nombreux peintres, de nombreux tableaux. Le thème se prête en effet à une symbolique très forte, abordant la question de la perte de la virginité. Ma représentation préférée est celle de Jean Baptiste Marie Pierre de 1750.
Je me suis appuyée sur 3 auteurs pour réaliser cette composition (à découvrir dans le 3ème article sur le mapping interactif). Entre Apollodore le Mythographe, Diodore de Sicile et Guy Rachet, l’ordre des 12 Travaux varie quelque peu. Les épisodes 1, 2, 7, 8, 9, 10 font l’unanimité. Tous s’accordent à dire que le premier travail est l’affrontement du Lion de Némée. Le sanglier d’Erymanthe et la biche de Cérynie se disputent les places 3 et 4 (j’ai retenu l’ordre proposé par Rachet : la biche avant le sanglier). De même pour les écuries d’Augias et les oiseaux du lac Stymphale, tantôt 6ème tantôt 7ème épreuve. Mais cela n’a guère d’importante et n’impacte aucunement le sens de l’histoire.
C’est surtout l’ordre des deux derniers travaux qui influence l’interprétation. J’ai retenu l’ordre proposé à la fois par Diodore et par Rachet, c’est-à-dire Cerbère et les Enfers (11ème Travail) puis le Jardin des Hespérides (12ème Travail). Tandis qu’Apollodore termine par la descente et le retour des Enfers. J’ai choisi la première interprétation car après être revenu des Enfers (un grand exploit en effet), Hercule se rend dans un jardin sacré, un jardin divin où il pourra récupérer des fruits symboles d’immortalité, des fruits qui ont été offerts comme cadeau de mariage à Junon (Héra), déesse qui le hait. Sa quête des 12 Travaux est réalisée dans le but d’acquérir la gloire éternelle (l’immortalité). Finir par le Jardin des Hespérides pour symboliser cette aspiration me parait plus convaincant.
En abordant le 11ème travail, j’ai immédiatement établi un parallèle avec mon illustration de l’Odyssée lorsque Ulysse descend au pays des morts pour rencontrer un devin. Dans l’épopée d’Homère, il est dit qu’Ulysse aperçoit l’ombre du héros Héraclès vêtu de ses armes (bouclier, baudrier, arc…). J’ai donc repris des éléments de composition de ma 18ème Compozia comme ces « fantômes » encapuchonnés et les titans maudits Sisyphe et Tantale.
Il y a un aspect de cet épisode que je n’ai pas illustré, c’est la délivrance de Thésée (à qui Hercule tend la main) et la non délivrance de Pirithoos qui demeure prisonnier des Enfers. Je ne savais pas comment leur faire une petite place discrète mais intelligible. De même que je ne savais pas comment dessiner Méléagre (je ne saurais même pas vous dire qui est ce personnage…). La Gorgone Méduse est tout de suite plus évidente visuellement. J’aurais également dû représenter le sacrifice d’un bœuf mais je ne pouvais pas tout faire.
Selon moi, la fin tragique d’Hercule témoigne du fait qu’il est incapable d’apprendre de ses erreurs. Demi-dieu certes mais profondément et désespérément humain, Hercule est emporté par ses pires faiblesses. Tout au long de l’histoire il reproduit sans cesse les mêmes erreurs qui finissent par se retourner contre lui. Sa mort implique deux personnages auxquels il a fait du tort : un centaure et une femme amoureuse.
Premièrement le centaure Nessos est l’un des derniers survivants de son espèce. En effet, à l’épisode 4 (le sanglier d’Erymanthe), Hercule emporté par l’ivresse est responsable du massacre de ces créatures, peu d’entre eux en réchappent. Deuxièmement, Déjanire est la dernière femme d’une série de conquêtes amoureuses. Avant de mourir, Hercule vient d’épouser Déjanire mais demeure amoureux d’une autre, la jeune Iole, dont il est fiancé mais non marié. Déjanire le sent distant et recherche un moyen de le garder auprès d’elle. Kidnappée et menacée de viol par le centaure, Déjanire est secourue par Hercule qui tue Nessos de ses terribles flèches. Avant de succomber, le centaure remplit une fiole de son sang et fait croire à la jeune femme qu’il s’agit d’un philtre d’amour. Convaincue, elle en imbibe la toge de son époux, vêtement qui deviendra son linceul, empoisonné et brûlant. La souffrance sera telle qu’Hercule choisira de s’immoler.
Hercule est un homme qui séduit facilement les femmes mais qui les abandonne tout aussi aisément. Il a tué les enfants de sa première épouse, ce qui ne l’a pas empêché de multiplier les conquêtes. Déjanire, femme désespérément amoureuse, envoutée par le charme viril d’Hercule, devient contre son gré l’instrument de sa perte. Le centaure, quant à lui, représente l’aspect bestial, sauvage, brutal du héros. Le rapt de Déjanire n’est pas loin de rassembler à la façon dont Hercule peut lui-même se comporter parfois. Son impulsivité, sa puissance débridée (puissance à la fois sexuelle et meurtrière) est la cause indirecte de sa mort.
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