Par cette nouvelle œuvre, je me suis autorisée exceptionnellement l’exploration d’un sujet à la fois plus personnel et plus symbolique. A travers le prisme de la mythologie égyptienne, qui propose un panthéon foisonnant, surprenant et paradoxal, j’étudie la question de la maternité. Cette 23ème composition présente 10 divinités égyptiennes accompagnant les mères en devenir. Elle questionne également mon rapport à la mythologie dans ma démarche artistique.

Intitulée « Gynécée », cette œuvre annexe s’inscrit dans la continuité d’une précédente illustration du mythe de Rê (le cycle du soleil dans la mythologie égyptienne) et en parallèle d’un autre travail entrepris sur le mythe osirien.

 Partie 1 : Présentation du panthéon égyptien : divinités de la maternité
 Partie 2 : Où placer cette oeuvre dans ma démarche artistique ? Quel est mon rapport à la mythologie et au féminisme ?

I. Les divinités égyptiennes de la maternité

La mythologie égyptienne s’appuie sur un panthéon particulièrement fourni pour ce qui est de la vie et de la mort, à tel point que cela en devient parfois confus ou redondant. Un enfant qui naît dans l’Egypte antique est confié à la bienveillance d’une ribambelle de dieux / divinités. J’ai illustré ce qui me semblait être les 10 divinités principales.

illustration 12 travaux d'Hercule Gaëlle Compozia

L’originalité de la mythologie égyptienne est qu’elle présente des paradoxes, des pouvoirs contradictoires et une symbolique étonnante. Une même divinité peut tantôt être associée au principe de vie et d’amour, tantôt devenir une entité violente et mortelle. Singulièrement, la notion de maternité n’est pas réduite à la fertilité / fécondité. De par ce vaste panthéon, elle est déclinée sous différents aspects complémentaires et paradoxaux.

 

isis déesse égyptienne illustration
mout déesse égyptienne illustration

Isis :

Déesse de la magie, protectrice de son enfant Horus et de son défunt époux Osiris, Isis est celle qui transmet la vie par-delà la mort. Elle fut fécondée par Osiris post-mortem : sous la forme animale d’un milan, alors qu’elle survolait la momie de son époux dont le phallus était encore dressé ; elle reçut sa semence puis accoucha de l’enfant Horus au milieu des roseaux et des papyrus.

Sa coiffe en forme de trône est son principal signe distinctif. On retrouve le hiéroglyphe du trône dans l’écriture de son nom. Isis peut être représentée avec ou sans ses ailes de milan. Elle est vêtue d’une fine robe à bretelles d’où se dégage sa poitrine dénudée. Je me suis alors autorisée à accentuer ces traits féminins et à arrondir son ventre (allusion à l’enfant Horus qu’elle porte en elle), m’émancipant des représentations traditionnelles d’Isis. J’ai fais le choix de ne pas représenter sa sœur jumelle Nephtys pour éviter une certaine redondance.

Mout :

Grande déesse-mère des temps anciens, Mout est une déesse stérile qui incarne l’expérience universelle et fondamentale de la maternité au sens large. Son nom signifie littéralement « Mère ». Maîtresse du ciel, présentée initialement dans les textes anciens comme la mère du cosmos, elle est l’épouse d’Amon-Rê. Infertile, elle est mère par l’adoption de Khonsu, le dieu de la Lune, et de Menthu, le dieu de la guerre. Mout est une déesse primordiale qui fut cependant, au fil des générations, confondues avec d’autres divinités (notamment Isis et Hathor) finissant par être éclipsée. On la représente coiffée d’une dépouille de vautour, oiseau considéré par les Egyptiens comme maternel et proche du monde divin.

Hathor & Bastet :

Hathor, la vache protectrice des mères et des épouses, considérée comme une mère céleste souriante et douce, elle est associée également au vin et à la musique. Elle porte le collier Ménat, lourd collier à perles et à contre-poids, symbole et fécondité. Hathor soulage les douleurs des femmes en couches et éloignent les mauvais esprits qui rôdent autour des nouveau-nés. Elle incarne le renouvellement perpétuel de toute forme de vie. Aussi, accompagne-t-elle les défunts dans leur voyage vers l’au-delà.

Sous sa forme humaine et féminine, on la représente coiffée du disque solaire et de deux cornes en forme de lyre. Sous sa forme animale, elle est associée à une vache, une vache parfois céleste dont le corps est constellé d’étoiles. Mais elle peut également se transformer en une créature violente et meurtrière, devenant l’instrument vengeur de Rê, apparaissant sous les traits féroces d’une lionne. Hathor se confond alors avec Sekhmet.

Sous des traits félins plus pacifiques, elle devient un chat, elle devient Bastet : symbole de féminité, de sensualité, déesse protectrice du foyer, de la maison, des femmes enceintes et des enfants.

Hathor, Sekhmet et Bastet sont-elles trois incarnations d’une seule et même entité divine ? Ou sont-elles à considérer comme trois déesses distinctes ? Les textes égyptiens n’apportent pas de réponse claire, tranchée et univoque

hathor déeese égyptienne illustration
hathor déeese égyptienne illustration
isis déesse égyptienne illustration
thouéris taouret déesse égyptienne

Khnoum & Heqet :

Khnoum est le dieu potier à tête de bélier, cet animal étant symbole de puissance génésique, associé au soleil et donc à Rê. Khnoum est un dieu fertiliseur lié aux crues du Nil et au façonnement des embryons, à l’instar d’un potier manipulant l’argile sur son tour.

Sa parèdre Heqet, déesse à tête de grenouille, insuffle la vie à l’embryon. On la voit donc portant l’ânkh, la croix ansée symbolisant la vie.

Thouéris (ou Taouret) :

Déesse protectrice des naissances et des femmes en couches, déesse dont la représentation est plus animale. Il s’agit d’une créature hybride, associant le corps plantureux d’un hippopotame femelle à la poitrine tombante, les pattes acérées d’un lion et la queue redoutable d’un crocodile. Cet aspect à la fois farouche et maternel témoigne de son rôle protecteur, symbolisant l’abondance nourricière mais aussi la férocité d’une mère défendant sa progéniture. Thouéris est représentée debout sur ses pattes arrière, se tenant d’une patte antérieure posée sur un symbole de protection.

Bès :

Le pendant masculin de Thouéris est Bès, un petit génie qui protège également les femmes en couches. De par son physique monstrueux et son visage qui tire la langue, il est chargé de faire fuir les esprits malfaisants menaçant les nouveau-nés. Bès a un petit corps trapu et potelé, des oreilles de lion, les yeux et le nez d’un singe, une langue proéminente encadrée par une barbe fournie.

Il est vêtu d’une peau de panthère en guise de cape, dissimulant à peine ses vigoureux attributs virils. Il incarne en effet la puissance sexuelle et favorise la réussite des mariages.

Il est extrêmement rare de trouver des divinités représentées de face dans l’iconographie égyptienne. Bès fait partie de ces étonnantes exceptions, ce n’est pas une liberté d’interprétation de ma part. En revanche, les motifs apparaissant sur les corps de Bès, de Thouéris et de Khnoum sont effectivement l’expression d’un affranchissement artistique

bès génie dieu mythologie égyptienne
isis déesse égyptienne illustration

Renenoutet :

appelée aussi Renenet ou Thermoutis, elle est la nourrice, la déesse de l’allaitement. Il s’agit d’une divinité chtonienne, dont la représentation associe de façon inattendue et déroutante les caractéristiques d’une femme allaitante et d’un serpent, un cobra plus exactement, dressé dans une posture menaçante pour préserver son nourrisson du danger.

meskhenet déesse égyptienne illustration

Meskhenet :

Enfin, dans une symbolique tout aussi surprenante, on trouve Meskhenet, la déesse à la brique, un symbole très prosaïque qui se réfère aux lits de briques sur lesquels accouchaient les femmes égyptiennes.

Comme Thouéris, Meskhenet figure dans le Livre des Morts et accompagne les Hommes dans leur passage de vie à trépas. On la retrouve au moment de la pesée du cœur, sous l’apparence curieuse d’une brique à tête de femme.

C’est ce que j’aime dans la mythologie égyptienne et qui stimule l’imaginaire et l’inspiration artistique. Comme l’explique l’égyptologue Florence Quentin*, l’expression culturelle de l’Egypte ancienne abonde d’images fortes, traduisant une volonté de décrire la complexité du monde. Elle propose une symbolique puissante qui frappe les esprits, cherchant à concilier le réel et l’imaginaire.

* Comprendre les symboles et les divinités de l’Egypte ancienne – dictionnaire illustré, aux éditions Hozhoni.

      II. Où situer cette œuvre dans ma démarche artistique ? Et quel est mon rapport au féminisme ?

Ce n’est pas dans mon habitude, dans ma démarche artistique, d’aborder des sujets aussi personnels et aussi féminins. Je n’ai pas de revendication particulière à exprimer à travers cette œuvre. Beaucoup de femmes artistes questionnent la féminité (au sens biologique et socioculturel) et le féminisme (au sens politique). Elles le font à travers leurs œuvres de manière volontaire et engagée, avec une revendication politique sous-jacente à leurs créations artistiques. Ce qui n’est pas mon cas.

Je n’ai pas l’intention de m’engager dans une voie artistique politique. Il faut des artistes féministes, il y en a et il en faut, mais ma présente œuvre exprime seulement une exploration individuelle, inspirée par un évènement personnel, à savoir une fausse couche (évènement que beaucoup de femmes traversent silencieusement). Mais je n’ai pas de revendication politique à exprimer, quelle qu’elle soit. Je ne souhaite pas non plus donner la mauvaise impression de m’enfermer dans une voie mystique et religieuse, et paraître anti-avortement. Je serais attristée si mon œuvre était interprétée ainsi. J’ai accueilli avec joie la nouvelle loi constitutionnelle sur l’IVG. Ce n’est pas parce que j’illustre des divinités relatives à la maternité que je suis contre ce droit fondamental, ce droit au choix.

Si j’ai choisi d’aborder la question de la maternité à travers le prisme de la mythologie, c’est vers la mythologie égyptienne que je me suis spécifiquement tournée ; car celle-ci offre non seulement un panthéon particulièrement diversifié, mais ce panthéon permet de multiples interprétations et présente de nombreux paradoxes. Et je trouve ces paradoxes d’une richesse philosophique infinie. C’est cela et essentiellement cela qui m’inspire et me fascine. C’est cela qui anime ma démarche artistique. Au début, je me laisse guidée par une vague inspiration et intuition. Et plus j’avance dans mes lectures et découvertes et plus je comprends pourquoi j’ai été attirée par le sujet que je suis en train d’étudier. Quand j’ai découvert, tardivement, la divinité Moût, j’ai été frappée. Elle incarne la maternité de manière presque absolue alors qu’elle est stérile. Je trouve cela prodigieux. De même que Renenoutet, la déesse de l’allaitement à tête de serpent. Elle est associée à un reptile, un ovipare… Plus étonnant encore, Meskhenet, la déesse à la brique … C’est un symbole tellement prosaïque, une représentation tellement hors norme … ! Absolument prodigieux et fascinant.

Le plus important selon moi est de philosopher, de se poser des questions, qui peut-être n’auront jamais de réponse complète, qui peut-être n’auront jamais de réponse tout court, qui peut-être ouvriront des champs d’interprétation variés et des contradictions, et c’est tant mieux. Ce que je veux par-dessus tout, c’est éveiller et aiguiser ma curiosité, rester ouverte et saine d’esprit, chercher l’équilibre, le juste milieu. Je veux aussi pouvoir surmonter les obstacles et les douleurs, surmonter les expériences difficiles auxquelles je suis confrontée, à travers le dessin, à travers la lecture et les recherches documentaires. J’aime les histoires, les légendes, les mythes car ils éveillent ma curiosité et bousculent mes représentations. Là est ma voie artistique.

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