Sélectionner une page

 

 

Mon année 2020 a commencé par un « voyage » au sens figuré du terme, un voyage en Egypte à travers une étude puis une illustration de la mythologie égyptienne.

Toujours dans la perspective de faire des illustrations à dimension culturelle, j’avais précédemment proposé une grande illustration des Voyages Extraordinaires de Jules Verne. Cet écrivain nantais m’avait accompagné tout au long de l’année 2019. 2020 est l’occasion de nouveaux voyages artistiques et littéraires.

Et c’est dans la foisonnante mythologie égyptienne que je me suis d’abord plongée. Il s’agit donc de vous raconter à la fois les mythes, qui ont inspirés mon illustration et comment celle-ci s’est élaborée, comment je travaille.

1/ La mythologie égyptienne, un panthéon complexe

La mythologie égyptienne possède un panthéon très vaste, regroupant somme toute assez peu de mythes (peu d’histoires, comparé à la mythologie gréco-romaine) : il s’agit essentiellement des mythes de Rê (le cycle solaire, du mythe osirien (le duel Horus-Seth et les rites funéraires) et du mythe cosmogonique (de la création du monde).

Dans mon illustration je me suis concentrée sur le mythe de Rê, associé très fortement à celui de Geb et Nout (la séparation du Ciel et de la Terre). Je me réserve le mythe osirien pour une prochaine compozia peut-être …

Ces mythes peu nombreux suscitent en revanche de multiples interprétations. La mythologie égyptienne n’est pas évidente à raconter, car l’Égypte antique était un royaume ou empire disparate, divisé en une quarantaine de territoires (les nomes), chacun vénérant une divinité particulière avec leur culte et temple dédié. La prépondérance de certains dieux par rapport à d’autres variait aussi selon les époques et dynasties. Il coexiste plusieurs théologies (celle de Thèbes, de Memphis, d’Héliopolis …etc.) et plusieurs versions des mythes, avec même parfois des confusions, des interférences, dans les noms et attributs des dieux, dans les concepts qu’ils incarnent.

Je me suis perdue dans les arbres généalogiques, dans les filiations et les couples de dieux. D’une source à l’autre, on remarque des différences ou des incertitudes. Il m’a été difficile de m’y retrouver dans ce vaste et complexe panthéon égyptien, dans ces coexistences de cultes. La religion égyptienne antique était une religion polythéiste, qui avait cependant la notion de dieu unique, dans le sens où le divin était à la fois visible et invisible, à la fois unique et multiple. Ces interférences dans les noms peuvent aussi s’expliquer par le fait que dans la conception mythologique des Anciens Égyptiens, les dieux sont nommés par les humains, or ceux-ci ne peuvent avoir pleinement accès au monde divin. Ils ne peuvent pas connaître le nom véritable, le nom secret des dieux, un secret bien garder au plus profond de leur cœur. Seule Isis, par une ruse, est parvenue à dérober le nom secret de Rê, ce qui lui permit de devenir déesse. Un même dieu possède donc plusieurs désignations possibles, de même qu’il possède aussi parfois plusieurs formes (dans ses métamorphoses ou ses représentations humaines) :

À commencer par Rê qui apparait sous la forme de Khépri le scarabée au matin, qui possède 4 têtes de béliers au zénith le midi, puis prend l’apparence d’un vieillard (Atoum) le soir, et enfin n’a plus qu’une seule tête de bélier la nuit dans sa traversée du monde souterrain. Mais il peut aussi avoir les traits du faucon, comme Horus. Ce sont ces métamorphoses et aspects multiples du dieu que j’ai cherché à retranscrire le plus fidèlement possible dans mon illustration.

Il s’agit donc d’une mythologie aux multiples facettes, qu’il ne faut pas chercher à rationaliser, qu’il faut aborder avec un regard neuf, et différent de celui qu’on porte sur la mythologie gréco-romaine (dont nous sommes culturellement héritiers).  C’est en tout cas une religion et une culture très riche visuellement, de part son écriture hiéroglyphique, ses monuments, ses vignettes qui illustrent les papyrus, son art et son artisanat, qui n’a pu que m’inspirer. Les mythologies en général m’inspirent beaucoup, et celle-ci tout particulièrement.

2/ Le mythe de Ré, ce que raconte mon illustration : 

Rê (ou Atoum-Rê), le dieu solaire, est un des principaux dieux du panthéon égyptien. Il est même LE dieu-démiurge, créateur du monde, dans la théologie d’Héliopolis (la cité du Soleil).  Surgi du néant obscure, liquide et informe (Noun, l’océan primordial), il créé le monde. De ses excrétions (semences et crachats) naissent Shou (l’air) et Tefnou (l’humidité), qui eux-mêmes donnent naissance à Geb (la terre) et Nout (la voûte céleste, la voie lactée).

Ces jumeaux-amants sont inséparables, mais Rê ordonne leur éloignement et Shou s’exécute. Il soulève le corps de sa fille. La vie peut alors apparaître entre le ciel et la terre. Séparés ainsi pendant 360 jours, la déesse du ciel obtient cependant 5 jours supplémentaires, pendant lesquels elle peut s’unir à son frère et amant Geb et donner naissance à quatre enfants : Osiris, Isis, Seth et Nephtys [1] . Ainsi Rê et ses descendants règnent sur le monde, que le dieu-soleil parcourt jour et nuit, dans sa barque, traversant le corps céleste de sa petite-fille Nout [2].

Sous l’apparence d’un scarabée poussant le disque solaire, on l’appelle Khépri le matin. A midi, ses quatre têtes de bélier surplombent et observent les quatre coins du monde, l’inondant de ses rayons bienfaisants. Au crépuscule, on l’appelle Atoum. Rê devenu vieillard s’apprête à passer sous terre de l’autre côté des montagnes, aux extrémités du monde. La lumière disparait progressivement, c’est la nuit. Rê entre dans la Douat, son périple nocturne commence. Les premières heures sont calmes, mais à la troisième heure, la tension monte. En effet, Rê se prépare à affronter et vaincre son ennemi Apophis, le serpent géant qui repend le chaos et les ténèbres. Cet être maléfique né des vomissements de Noun, cherche à tout prix à détruire le monde : il tente chaque nuit d’empêcher son frère de traverser les 12 portes souterraines (les 12 heures de la nuit) afin d’arrêter le cours du temps. Il crache du feu, assèche le Nil souterrain et encercle la barque, pour la faire chavirer et empêcher la progression de Rê. Le combat est rude. Mais Rê n’est pas seul, il noue des alliances avec d’autres dieux, comme Sia (ou Thot) divinité de la connaissance, qui l’accompagne sur sa barque. Sa fille Bastet lui envoie le lion Miysis [3] qui le lacère de coups de couteau. Mais cela ne suffit pas à vaincre le serpent géant. C’est alors qu’intervient Seth, un allié controversé [4] dont la violence s’avère pourtant utile : de sa lance il transperce Apophis et lui fait recracher toute l’eau du fleuve.  Relevant ainsi les obstacles, des hommes défunts et des divinités l’aidant à tirer sa barque, Rê traverse les portes souterraines. Il passe devant la butte où séjourne Osiris le dieu des morts. La fin de la nuit approche. Noun l’océan primordial apparaît alors au terme du périple [5] et soulève la barque de Rê en dehors de la Douat. Rê sous la forme de Khépri éclaire à nouveau le monde. Il a triomphé du chaos et des ténèbres. Difficile à vaincre, celui-ci réussit parfois à plonger temporairement le monde dans les ténèbres : les jours d’éclipses. Vieux et fatigué, Rê chargera un jour d’autres dieux, d’autres rois, de mener son combat.

Ainsi, la mythologie égyptienne met en scène la dualité qui oppose le ciel à la terre, le jour à la nuit, la vie à la mort, le bien au mal, l’équilibre au chaos.  Le cycle du soleil c’est aussi le cycle de la vie, de la naissance à la mort. Et sa réapparition chaque matin est un signe d’espoir, de possible renaissance et de résilience, pour les Egyptiens.

 

[1] : Les dieux du mythe osirien

[2] : Il était plus facile pour moi de représenter la barque de Rê posé sur le dos de Nout, comme c’est le cas dans certaines représentations égyptiennes. Une suite du mythe (ou autre interprétation) raconte d’ailleurs qu’au bout de neuf siècles, Rê fatigué souhaitait prendre sa retraite, qu’il est monté sur le dos de Nout (sous sa forme de vache céleste) et lui a demandé de monter, de grandir, pour transporter au-delà du monde. Il n’était alors visible que le jour, continuant de baigner le monde de ses rayons solaires, mais qu’il disparaissait la nuit dans des contrées lointaines et laissait alors la place à Thot (la Lune) pour garder un œil sur le monde nocturne.

A noter que Nout est aussi parfois imaginée comme une truie dévorant ses enfants (les étoiles qui parcourent son corps). Mais elle est aussi la déesse qui nourrit et abreuve les défunts grâce aux racines de son arbre le sycomore.

[3] : Mais dans d’autres versions il s’agit de Rê lui-même (métamorphosé en félin). La représentation de ce « lion » sur les vignettes des papyrus égyptiens est d’ailleurs assez curieuse, il ressemble davantage à un léopard je trouve, sur mon dessin aussi du coup. Disons qu’il s’agit d’un félin, c’est le principal.

[4] : Seth est un dieu à la connotation très négative, il incarne l’instabilité, l’impulsivité, la violence (la violence du pouvoir, la violence sexuelle…). Il est le dieu jaloux qui tue son frère Osiris et crève l’œil de son neveu Horus. Son rôle dans la mythologie est en réalité ambigu, complexe. Mais certains prêtres et théologiens, n’ont retenu de lui que sa personnalité meurtrière, si bien qu’il finit par être confondu avec Apophis lui-même, et son rôle d’allié de Rê dans le combat nocturne (ainsi que dans les rites funéraires de l’ouverture de la bouche) quasiment oublié.

[5] : Il aurait fallu que je représente aussi Isis et Nephtys et un pilier djed accueillant la sortie de Rê mais je n’avais malheureusement pas la place, j’ai fait cette découverte trop tard, mon dessin était déjà entamé.

3/ de la mythologie à l’illustration : ma méthode de travail

Je tiens à préciser que cette œuvre et cet article sont le fruit d’un travail personnel, avant tout artistique, motivé par ma curiosité et mon inspiration, mais je ne suis pas égyptologue ni étudiante en la matière. Il faut donc voir mon illustration comme une synthèse de ce que je pense avoir compris, et comme une libre interprétation, répondant cependant à mon constant souci de cohérence.

Mes sources bibliographiques et sitographiques sont les suivantes (recensées également dans mon tableau Pearltrees) :

Mes recherches, prises de notes et croquis, sur la mythologie égyptienne, sont compilées dans mon carnet d’artiste (artjournal), dont voici le contenu en vidéo. Je vous présente aussi quelques extraits en images, de l’évolution de ma Compozia, de quelques notes, des croquis préalables et tests graphiques, des recherches de motifs…

 

 

Petite anecdote concernant le dessin de Geb et Nout : par souci de réalisme dans la représentation des corps, j’ai demandé à mon compagnon de prendre la pose pour Geb (il a bien voulu se prêter au jeu), et j’ai pris celle de Nout. Le corps de Nout apparaît moins réaliste car il a nécessité des petits trucages afin de faire coïncider les mains et les pieds des deux amants, mais j’ai tâché de lui donner des membres moins allongés (moins fantastiques) qu’ils ne le sont sur les vignettes des papyrus égyptiens.  

 

A propos des hiéroglyphes

Pour les hiéroglyphes je n’ai pas voulu dessiner (écrire) n’importe quoi. Je tenais absolument à retranscrire des suites de hiéroglyphes authentiques, ayant non seulement du sens mais aussi un rapport avec le sujet du dessin. Il m’a fallu une demi-journée entière de recherches pour parvenir à trouver un papyrus parlant de Rê (et en résolution suffisante pour pouvoir lire et recopier). C’est grâce à ce site que je suis parvenue à dénicher le papyrus d’Hounefer, il s’agit d’un extrait du traditionnel Livre des Morts qui accompagne les défunts. Le morceau choisi est un hymne à Rê, le cycle du soleil et sa réapparition chaque matin symbolisant la possible renaissance des êtres. Tous les détails sur ce magnifique papyrus sont expliqués sur ce site très complet.

Si j’ai bien appris ma leçon, les têtes des animaux étant tournés vers la droite, ces colonnes de hiéroglyphes se lisent de droite à gauche. J’ai recopié les 3 premières colonnes du papyrus en partant de la droite, et j’espère ne pas m’être trompée.

Conclusion : précédents et futurs projets d’illustration :

J’ai choisi en ce début d’année 2020 un sujet moins littéraire (encore que …), moins conséquent en termes de lecture, moins grand, plus rapide à dessiner – que ne l’avait été mon précédent projet sur Jules Verne. Celui-ci me permettait de me maintenir dans ma démarche artistique de plus en plus axée sur la recherche documentaire, tout en étant moins fastidieux que mon précédent travail, avant d’attaquer dans quelques temps l’Odyssée, qui alliera alors à la fois la littérature et la mythologie. J’ai aussi pour projet d’aborder d’autres mythologies, et de lire et illustrer Alice aux Pays des Merveilles. A voir où mes prochaines lectures et inspirations m’emmèneront …

 

Annexe : illustration de Bastet :

Cette Compozia terminée, un ami d’enfance – passionné de mythologie égyptienne – m’a passé commande d’une illustration de la déesse Bastet.

Ce dessin m’a demandé une petite semaine de travail (1 à 2 heures par jour pendant le confinement de mars 2020).

Pour les amateurs du jeu cherche-et-trouve, je me suis amusée à cacher 10 chats sur le dessin.

cette œuvre a fait l’objet d’un dépôt légal, elle est soumise au Copyright – tous droits réservés.